Mon tri déclic.
Il y a maintenant plusieurs années, j’ai fait un grand tri dans mes étagères et portants de vêtements.
Jusque-là, je pensais que le problème ne venait pas de la quantité de vêtements que j’avais mais du manque de place. Il me fallait plus d’étagères, de portants pour que je puisse les ranger. Alors, des étagères étaient installées et je stockais des piles de vêtements. Les avoir ne me procurait pas plus de satisfaction pour autant, bien au contraire. On peut dire que je déportais le problème pour ne pas voir celui qui se cachait sous cette pile de vêtements. Les choses ont bien changé depuis.
Ce jour de grand tri, j’avais mis le doigt sur ce qui me faisait garder depuis trop longtemps des vêtements que je ne portais plus. Ce fût comme une révélation et une libération. Et il a fallu que je me déleste au plus vite de ces sacs remplis de pulls, robes, t-shirts que je ne mettais plus. A ce moment, les applications de vente n’étaient pas aussi populaires, et je n’en avais ni l’envie, ni le temps. Il fallait que ces sacs sortent de chez moi au plus vite. Je vivais à Strasbourg à cette époque. J’ai déposé mes sacs dans les bacs de collectes à proximité, au Secours populaire, et à Oxfam. Hiver, été, accessoires, collants, vêtements… tout y est passé.
J’espérais bien que de ces sacs remplis, d’autres pourraient trouver un pull pour l’hiver, une robe pour l’été…et pour les plus abimés, que des chiffons en seraient faits. La semaine dernière, j’ai pu visiter dans le cadre du mois de l’économie sociale et solidaire, un organisme caennais qui collecte des dons à Caen et aux alentours : La chiffo. J’ai eu envie de savoir ce que deviennent nos dons de vêtements, une fois déposés dans les bennes et comment ils sont triés.
Nos indésirés sont leurs matières premières.
Ce que je vais vous résumer ici est spécifique à La Chiffo. Evidemment, d’autres structures doivent avoir des modèles assez proches mais adaptés à leur fonctionnement, leurs objectifs et critères.
La chiffo est un organisme qui dispose actuellement de trois points de vente. En fonction des lieux, vous pouvez y trouver des vêtements, sacs, bijoux…pour femme et homme ainsi que du mobilier, de la vaisselle et des livres. Sur le site de tri de Caen, les camions de dons stationnent à l’extérieur. Rien que de voir la quantité de sacs qui remplissent ces camions donnent le vertige. J’expliquerai dans la suite de l’article, les différents moyens de collecte qui existent.
J’ai été accueillie par Laurie qui m’explique que chaque semaine, ce sont au plus fort, 16 tonnes qui sont triées. Ce chiffre est incroyable ! Tout ce qui n’est pas textile, linge, accessoires est mis de côté. Le reste est contenu dans de grands bacs dans lesquels les employés passent au crible chaque produit. Dans la zone de tri, une sélection pointilleuse est mise en place.
Nathalie encadre cet atelier de tri depuis dix ans, après avoir été responsable qualité pour un atelier de luxe durant de nombreuses années. Une formation de moniteur d’atelier lui permet aujourd’hui de transmettre les gestes et son savoir, à celles et ceux qui arrivent ici pour remettre un pied dans le monde du travail ou pour le découvrir.
Les trois catégories de tri par La Chiffo.
Comme dans une boutique standard, les vêtements proposés suivent les saisons mais répondent aussi à des thématiques : les vêtements d’hiver, les tenues de fêtes de fin d’année par exemple, où strass et paillettes sont de sortie. Seule différence, ce sont tous des vêtements et accessoires ( sacs, ceintures, bijoux, foulards…) de seconde main. Durant ma visite, j’y ai également vu des robes de mariée. La variété des produits reçus est donc large !
Avant qu’un vêtement n’arrive en boutique, voilà ce qui se passe. La chiffo répartit ses dons selon trois catégories : les produits dits de « boutique », ceux considérés de « braderie » et les autres qui sont vendus à un partenaire : Gebetex. Entre son arrivée sur la zone de tri et son installation en boutique, un produit passe par sept étapes.
Les critères de La chiffo sont définis de telle sorte qu’un produit présenté dans une de ces boutiques est en bon état.
- Un produit « boutique » est un vêtement sans bouloche, ni défaut, trou ou tache. Pour vous donner une idée des prix, ils commencent sous les 10€ et ensuite s’adaptent en fonction des marques. On y trouve aussi bien des vêtements Zara, KOOKAI, Un jour Ailleurs, Sinequanone, qu’un jean noir Kenzo à 50€ ou un jean Hermès à 30€.
- Les produits « Braderie » eux vont de 1,5€ à 3€. Ils peuvent être lustrés, un peu boulochés mais n’ont ni trou ni tache. Ils sont aussi proposés en boutique.
- Toutes les pièces qui ne correspondent pas aux critères de La chiffo sont ensuite revendues, à la tonne à Gebetex. Cette dernière est une entreprise normande de tri qui revend des vêtements aux friperies et aux entreprises revalorisant les textiles impropres à la vente. Les vêtements retoqués par La chiffo ont donc une seconde chance auprès de cette structure mais pour cette partie-là, je ne peux pas vous en dire plus.
Les étapes du tri : la qualité comme fil rouge.
Nathalie met l’accent sur leur atout : la qualité du produit.
Et ce sont les sept étapes du parcours du tri qui vont garantir la qualité qu’elle souhaite préserver en boutique. Les vêtements été, hiver sont triés puis répartis selon les 3 catégories énumérées au-dessus. Les chemises, blouses, jupes, pantalons… sont repassés pour être remis en forme, ou passés à la vapeur. L’équipe est formée pour procéder à un repassage dans les règles avec du matériel professionnel et adapté, ou pour défroisser à la vapeur selon les modèles. Les chaussures et sacs sont nettoyés et désinfectés. A chacune de ces étapes, un produit initialement destiné à la « boutique » peut passer en produit « braderie » ou pour Gebetex. Le repassage, l’éclairage…peut parfois révéler un défaut qui était passé inaperçu jusqu’alors.
Et inversement, un produit mis de côté par erreur ou inattention peut rejoindre le circuit de vente.
Ensuite, le personnel doit estimer le prix des produits en fonction de la marque, de la composition, de son style actuel ou non, et créer l’étiquette de vente. Chacune de ces étapes correspond à une transmission de compétence, de savoir-faire, de familiarisation avec un ordinateur parfois. Car ce qui est aussi au cœur de cette structure, c’est l’accompagnement de personnes qui peuvent en avoir besoin à un moment de leur vie. Nathalie est là pour encadrer l’équipe, écouter, expliquer les étapes, discuter des prix en gardant en tête les objectifs de l’association.
La chiffo, une boutique solidaire, de seconde main et un chantier d’insertion.
La chiffo est un chantier d’insertion qui recrute indirectement par le biais de partenaires et propose des contrats de 4 à 24 mois. En tout, ce sont 140 personnes qui passent à l’année dans leurs locaux. Et tout cela est possible, grâce en premier lieu aux dons que les particuliers comme vous et moi déposent dans les bornes installées en ville, dans leurs boutiques mais aussi dans certains établissements scolaires, des ehpad ou en porte-à-porte. Les institutions leur apportent elles aussi un soutien mais financier, conditionné à un taux d’auto-financement. Vous voyez le fameux cercle vertueux qui se met en place où chacun à sa part à jouer. Don – matières premières – emploi – vente – recyclage…
Vêtements up-cyclés : une nouvelle ressource issue d’invendus.
Autre particularité de cette association solidaire, la mise en vente de produits up-cyclés. De grandes marques lui fournissent des stocks de vêtements invendus qui sont ensuite retravaillés. Vous le savez sans doute, les entreprises ne peuvent plus légalement détruire leurs stocks d’invendus. Une bonne nouvelle de savoir que des quantités de matières premières ne sont tout simplement plus passées au four. Les entreprises de la mode doivent donc leur trouver une nouvelle vie. En voilà une.
Je n’ai pas pu visiter l’atelier de confection mais il y a sur place un atelier de couture qui travaille à la transformation des produits reçus. Cette catégorie de vêtements a pu voir la jour grâce à Tissons la solidarité qui a développé ce projet d’upcycling avec des marques. La chiffo propose ensuite des modèles qui sont validés par Tissons la solidarité et qui encadre également la gamme de prix.
Quel avenir pour le don de vêtements ?
Nathalie et Laurie pointent du doigt la baisse de qualité des dons. Tout simplement car la qualité des matières premières des vêtements a baissé. Aujourd’hui, un produit de fast fashion n’a pas une longue durée de vie à quelques exceptions près que ce soit lié à un tissu de mauvaise facture, ou une couture mal faite.
Les plateformes de revente se sont aussi développées depuis et chacun peut revendre directement de chez soi, son produit en ligne. On peut faire l’hypothèse que ce qui est moins facilement vendable est donné, contrairement aux pièces ayant du potentiel. Celles-ci sont directement mises en vente par les particuliers sur Le bon coin, Vinted etc. Elles remarquent également une baisse importante de produits de luxe ou vintage contrairement à il y a 10 ans. Le vintage et le luxe disposent également de sites dédiés comme Vestiaire collective qui a su tirer profit du web et de ce marché très attractif.
Actuellement, La chiffo manque cruellement de vêtements de couleurs. Nathalie ma raccompagne en réserve pour me montrer le portant à venir des vêtements hiver : du noir et du marron. Alors si vous êtes à Caen ou aux alentours, n’hésitez pas à faire le tour de votre placard pour y apporter de la couleur !
En conclusion :
L’univers de la mode est en transformation et tous les secteurs sont touchés. Chacun se réinvente. Les marques proposent leur propre site de seconde main pour continuer à capter leurs clients, les boutiques de dépôt-vente existent toujours et cohabitent avec les applications en ligne. Les structures solidaires jouent sur le même terrain mais pour apporter une aide à celles et ceux qui souhaitent/doivent acheter à moindre coût tout en embauchant et formant des personnes ayant besoin d’aide, à un moment de leur vie. L’idéal serait un monde dans lequel chacun puisse continuer à trouver sa place sans que d’autres ne soient pénalisés. Vous et moi pouvons très bien continuer à utiliser selon nos capacités, et le moment l’ensemble de ces structures. L’une n’est pas incompatible avec l’autre.
En tout cas, j’espère que cette visite vous aura donné des éléments pour vous conforter dans vos dons.
Les infos clés à retenir :
- Il est important de bien laver ses vêtements avant de les donner. Toutes les structures n’ont pas la capacité de les laver.
- Un vêtement rejeté par une structure, trouvera une autre structure d’accueil.
- Les invendus de marques peuvent être up-cyclés.
- Les vêtements pour homme et enfants collectés sont souvent trop abimés pour être revendus.
- La chiffo propose également un service de retouche pour les particuliers.
- En faisant du tri chez soi, c’est toute une économie solidaire qui est soutenue.
Sincèrement, je tire mon chapeau aux salariés qui font un travail de fourmis pour dégoter les perles rares dans cet immense ancien garage, où l’hiver se fait déjà sentir.
La chiffo organise une visite de leurs locaux le 26 novembre 2021 encore si cela vous intéresse.
Et si les questions mode et environnement vous intéressent, n’hésitez pas à poursuivre votre lecture ici.
A bientôt !
2 Comments
Marie-Alice
J’avais entendu parler de la chiffo sans vraiment savoir qu’elle était leur méthode de travail. Tu y as remédié grâce à cet article ! Merci beaucoup
Anne
Super, merci à toi ! Leur tri est vraiment drastique mais il y a, au moins à ce jour, la garantie que les dons sont vraiment triés sur place.